À tort on pense souvent que toutes les histoires finissent de la même manière, que le destin décide de tout et que la fatalité s'abat inévitablement sur nous. Je suis d'accord pour la fatalité, c'est un fait, c'est vrai, je vais mourir, comme tout le monde d'ailleurs, il n'y a rien d'extraordinaire et je suis loin d'être unique. Je pourrais être d'accord sur le destin, jusqu'à un certain point, après tout c'est vrai, si la mort nous attend tous, alors oui, nous sommes effectivement destinés à cette fatalité. Jusqu'à maintenant, j'accepte et je signe même, les gens ont généralement raison, mais la n'est pas la question, d'ailleurs il ne s’agit même pas d'une question à proprement parlé.
À vrai dire, là où ma singularité persiste, ce n'est pas à croire ou non au destin ou à la mort, mais bien à voir dans la fin quelque chose de différent, un début peut-être. Les histoires ne finissent pas toute pareille, ça, j'en suis convaincu. Mon histoire est banale, je ne suis pas à la tête d'un culte, je n'ai pas découvert de continent et encore moins changé l'Histoire avec un grand H, mais une chose est certaine, mon histoire est bel et bien particulière.
Mon histoire à moi commence comme toutes les autres, avec une naissance. Désirés ou non, nous passons tous par là, eh oui! Voilà un grand mystère de la vie qui trouve une réponse dans sa simplicité. C'est peut-être simple et déjà vu, mais au fond, je crois qu'il est nécessaire de commencer quelque part, par un point unique. Tout le monde vient au monde, tout le monde meurt. Point à la ligne. L'important ce n'est pas comment tout commence ou même comment tout fini, l'important c'est le milieu, la crème quoi.
Je m'égare, je m'égare! Déjà, très jeune, j'ai tôt fait de démontrer une farouche passion pour les questions. Oui, tout à fait, les questions. Les questions sont merveilleuses, belles et pleines de surprise. Vous êtes vous déjà fait demander pourquoi le ciel est bleu? Mieux encore, vous êtes vous déjà fait demander votre nom? Probablement pas vrai? C'est le genre de question inévitable, comme la pluie l'automne, la neige l'hiver et les promesses foireuses en période électorale. Malgré tout, peu importe le niveau de prévisibilité d'une question, personne ne s'y attend jamais. C'est quoi ton nom? Banale. Mon nom n'est pas banal, mais je ne m'attends jamais à ce qu'on me pose la question. Une question c'est une surprise. Une vague sur l'eau calme d'un visage, une explosion dans la tranquillité d'un cerveau concentré à éviter les contacts. La réponse est banale. Non, je le répète, mon nom n'est pas banal, je vous rassure. Évidemment, la réponse peut être considérée comme une surprise. Une personne qui me demande mon nom ne le connaît pas, mais toutes personnes posant la question s'attend nécessairement à une réponse, que ce soit le nom recherché, l'absence de réponse (qui en reste une tout de même!), l'évitement ou quoi que ce soit. La réponse en soi est un concept attendu et prévisible. Une réponse est nécessairement motivée par une question, mais la question elle, qu'est-ce qui la motive? En voilà une question! Intéressant non?
Cette passion pour les questions et ce désintérêt crasseux pour les réponses à été source d'inconfort constant dans ma vie et ce fut encore plus vrai le moment venu de tisser des liens avec les autres enfants. Imaginez la scène:
-C'est quoi ton nom? Ta couleur favorite? T'aimes les dessins animés? T'aimes les chats? T'es plus du type chien ou chaussette? T'a déjà vu un cadavre? Pas que les réponse m'intéresse, mais avoue que tu es surpris pas vrai, tu veux être mon ami?
-Euh... Non.
-D'accord merci quand même, il faut beau dehors pas vrai?
La météo, l'ultime recours de la platitude. Bref, je n'avais pas beaucoup d'amis, heureusement que je n'en avais pas besoin! Les questions étaient tout ce dont j'avais besoin. Bon d'accord, c'est un mensonge, j'étais quand même plutôt solitaire malgré moi.
Mon premier ami m'est apparu vers l'âge de cinq ou six ans, un chic type du nom de Nicole. Je dis bien un type, car Nicole avait plus de barbe que la moyenne des hommes de trente-cinq ans. Notre amitié en avait été une d'intensité et de surprise incroyable. Une amitié fulgurante et magnifique comme un feu d'artifice. Rapide, spectaculaire et se terminant en fumé. Je m'en souviens encore très bien, nous nous étions rencontrés par un soir de printemps, je sens, plus que revois, cette sombre ruelle à l'odeur de vomit. Aaaah... Souvenir.
-J'ai un serpent dans mes culottes, sa t'intéresses le jeune? (Tout de suite une question, c'est comme ça que les grandes relations commencent. Je dirais même, que l'on peut mesuré la puissance d'une relation à venir grâce à l'étrangeté de la première question, auquel cas, la relation s'annonçait déjà forte!)
Tout de suite j'avais su qu'il me fallait répondre d'une question d'égale pertinence.
-T'a déjà vomi par le nez?
Effet immédiat. En tout cas, sa avait été plaisant. Passons.
Après cet épisode de ma vie, j'avais décidé de prendre une pause de l'amitié pour me consacrer à quelque chose d'autre de plus palpitant; l'art. Ma carrière d'artiste avait débuté depuis un bon moment déjà, mais j'avais décidé de devenir plus sérieux. Mes excréments et les murs allaient dorénavant appartenir au passé. Finis la peinture de fluide corporel, finis les murs d'école, j'allais maintenant devenir professionnel.
Ma carrière d'artiste fut à l'image de mes amitiés, courte, à sens unique et déconcertante. J'avais du talent, mais j'étais incompris, je crois. Un génie avant mon temps. Probablement. Sûrement. Peut-être? Question. J'en revenais donc à ma première passion, mais pourquoi? Et voilà que je me posais à nouveau des questions sans trouver de réponse.
À la rue, au fond du baril (littéralement), je me demandais si un jour j'allais trouver une question à mes réponses. Après tout, à chercher on fini par trouvé et au fond d'une poubelle (celle qui me servait de maison), entre une pizza moisie, une crotte de chat, une sourie morte et une dent (la mienne), la réponse se trouvait. Simplemement. Comme ça. La rhétorique. L'emmerdement professionnel, le saint Graal du chiant, l'apex du dérangement, l'épitome de la pertinence dégradante.
La rhétorique par les nulles, ouverture aux merveilleux mondes de la philosophie. Une révélation, une épiphanie, un rappel que même sur les tas de merdes les fleurs pouvaient pousser. C'était ma question.
Armé de mon manuel de philosophie la décision s'était naturellement imposé. J'aimais les questions, détestait les réponses. J'allais devenir cuisinier. Un échec. Reconversion? Enquêteur! Quoi, il faut aller à l'école? (Souvenir de ma période artiste, mauvaise idée). Ah! Philosophe! Pas besoin d'étude pour pourrir des vies.
Je crois que c'est un peu comme ça que je suis mort.
Oui mort. Esqualade rapide heih? Comme je le disais, à tort les gens pensent que toutes les histoires se terminent de la même manière. Bon d'accord, j'ai fini par mourir, mais cela ne m'empêche pas de raconter mon histoire de toute manière. Je pense donc je suis disais la dame de pique.
Comment je suis mort? Oui et bien c'est une bonne question. Pourquoi je parle encore? Mis à part la réponse donnée par mon jeu de cartes, je suppose que c'est une autre bonne question. Le problème avec les bonnes questions c'est qu'elles manquent généralement de bonnes réponses. Plus une question est bonne, moins elle a de réponses.
Non, je le répète, il n'y a rien d'extraordinaire à une vie comme la mienne, rien d'unique, rien d'exceptionnel, seulement des questions sans réponses, un flottement... Une envie d'obtenir peut-être, rien qu'une fois, au moins une petite réponse.
C'est farfelu et dénué de sens. Je me trouve comique, une envie à la limite d'être ludique même. Mais... si ma vie je l'ai passée à poser des questions, peut-être devrais-je passé ma mort à chercher des réponses? Pourquoi pas tiens.
Qui étais-je? Artiste, emmerdeur, provocateur, autodidacte, quoi encore?
Comment suis-je mort? Je ne sais pas, mais voilà, j'ai envie de le savoir, drôle non? Je suppose (c'est à peu près tout ce que les philosophes font mis à part emmerder les gens et se faire tuer) que je pourrais tenter de le découvrir, et puis... même si c'est une très bonne question et que par conséquent la très bonne réponse devient compliqué à trouvé, je suppose (voyez ce que je disais?) que j'ai toute la mort devant moi pour trouver!
J'ai toujours cru que la mort n'était pas une fin en soit, alors aussi bien exister selon mes principes! À commencer par le commencement, voici l'histoire de ma vie, banale (pas comme mon nom), pas du tout unique, mais tout de même singulière, mon histoire à moi, celle de ma vie, mais surtout celle de ma mort, une histoire qui elle ne sera pas banale (comme mon nom), une histoire qui sera unique, mais sans être singulière. L'histoire d'un mort qui cherche la vérité. Une histoire qui commence par une question, LA question. La seule, là vrai, la première, le début de l'homme, la fin, la science, la vie, la mort, la philosophie, de la disparition des chaussettes dans les sécheuses, l'alpha et l'alpha (oméga c'est trop classique), bref le moteur même de l'existence, de tout et de toute chose: Pourquoi?